Avant la pandémie, Joachim Löw, Martina Voss-Tecklenburg et Stefan Kuntz avaient une vision claire de leurs futurs respectifs. Mais le coronavirus a chamboulé tous les calendriers : l’EURO 2020 et les Jeux olympiques sont reportés à 2021, tandis que les Championnats d’Europe féminin et espoir, prévus en 2021 sont repoussés à 2022. Pour le Journal de la DFB, le sélectionneur, la sélectionneuse et le sélectionneur espoir reviennent en détail sur cette période sans football et sur leurs projets d’avenir.
DFB.de : Qu'est-ce qui vous a traversé l'esprit à l’annonce du report des tournois ?
Joachim Löw : C'est la décision à laquelle je m’étais préparé, il n'y avait tout simplement pas d'autres solutions. Même si le football est très important pour beaucoup de gens, l’EURO ne pouvait que passer au second plan cet été. Il ne fait aucun doute que nous aurions aimé jouer, car notre équipe a justement besoin de vivre une compétition pour mûrir, pour gagner en résistance et pour acquérir de nouvelles expériences. Ce report est également dommage pour les fans de toute l'Europe, car l’EURO et la Coupe du monde sont des moments forts que les gens attendent avec impatience. Mais dans ces conditions, cela n'aurait tout simplement pas eu de sens. La santé est une priorité. Je pense que le monde du football a montré, avec cette décision, qu'il est conscient de sa responsabilité et de son rôle dans la société.
Martina Voss-Tecklenburg : Spontanément, je me suis dit que mes attentes étaient satisfaites. Il n'y avait pas d’autres alternatives que de différer l’EURO féminin en raison de la crise et du report des autres tournois. Je n'ai donc pas été surprise, j'ai simplement accepté la décision qui me semble normale.
Stefan Kuntz : Après toutes les spéculations et le processus des jours précédents, le report des tournois n'était plus une surprise et c'était la bonne décision. Nous sommes heureux que les compétitions ne soient pas annulées mais seulement reportées et que la génération née en 1997 puisse prendre part aux Jeux olympiques.
DFB.de : Le report des tournois a-t-il un impact sur vos objectifs ? L'année supplémentaire pourrait-elle même être un atout ?
Löw : Nous prenons les choses comme elles viennent. Des joueurs comme Leroy Sané et Niklas Süle auront suffisamment de temps pour revenir à leur meilleur niveau. Mais comment prédire ce qui se passera dans un an ? Qui sera en forme et qui ne le sera pas ? C’est difficile à prévoir. Nous avons initié un changement profond qui ne s’est pas passé comme prévu, notamment à cause des blessures. Nous avons néanmoins mis en place une équipe performante et ultra-motivée, qui s’est imposée dans son groupe de qualification et qui mérite sa place à l’EURO.
Voss-Tecklenburg : Nous sommes dans un nouveau processus et cette année supplémentaire nous donne plus de temps. Cela peut donc être un atout. Mais c’est aussi un avantage pour les autres équipes. Quant à notre objectif, il est toujours le même : faire de notre mieux à l’EURO et si possible remporter le titre.
Kuntz : Non, cela n'a aucune influence. En football, surtout avec les équipes juniors, il faut être flexible, parce qu'on ne peut pas toujours décider à 100 % de la composition de l'équipe. Bien sûr, sur une année, certains joueurs peuvent passer un nouveau palier, mais c’est la même chose pour les joueurs des autres pays. Dans certains cas, il est possible que des joueurs qui devaient jouer les Jeux olympiques en 2020 se retrouvent en équipe première d’ici 2021, ce qui constitue une grande avancée pour eux. En ce qui concerne l’EURO 2021, nous attendons des précisions supplémentaires.
DFB.de : Ces dernières semaines, vous n’avez pas pu travailler sur le terrain, et par conséquent vous avez pu développer de nouveaux concepts et approfondir certaines analyses. Qu’en est-il ressorti ?
Löw : Au fond, nous réfléchissons toujours aux domaines dans lesquels nous pouvons encore optimiser notre travail. En ce moment, nous étudions les scénarios pour la rentrée et les matchs internationaux qui devraient reprendre en septembre. Actuellement, je profite des matchs de Bundesliga qui sont d’un très haut niveau, même sans spectateur dans les gradins. La plupart des rencontres que j’ai vues jusqu’à présent sont empreintes d’une forte intensité. Les joueurs ont l’air en forme et sont enthousiastes. Ça fait plaisir à voir !
Voss-Tecklenburg : Nous avons développé des projets pour promouvoir les jeunes talents et pour fournir aux joueuses juniors de nouveaux plans d’entraînement. Cela va des entraînements concrets au soutien de la part de nos psychologues an passant par l’attention portée à la nutrition. Il y a eu aussi de nombreux échanges avec les joueuses ou les membres du staff. En tant qu’entraîneurs, nous avons aussi pu partager notre vision du football non seulement avec les joueuses de l’équipe nationale mais aussi avec les juniors, jusqu’aux U15. Dans l’ensemble, nous sommes restés en contact de manière intensive et avons mis à profit le temps que nous avons eu. La conférence avec tous les entraîneurs, y compris ceux des équipes masculines et juniors a été un moment important.
Kuntz : Tous les entraîneurs des sélections juniors s’occupent déjà de projets divers, pour apporter de nouvelles connaissances à toutes les autres équipes. Nous échangeons nos idées lors de visioconférences hebdomadaires. Je travaille entre autres sur des programmes individualisés destinés aux attaquants. Des projets similaires sont développés pour les milieux de terrain et les défenseurs. Les autres programmes en cours portent sur le dépistage des futures pépites et nous discutons de nouvelles idées pour le football à l’international.
DFB.de : À quelle fréquence avez-vous gardé contact avec les joueurs de la sélection et votre équipe ? Quels sujets avez-vous abordés ?
Löw : Nous, les entraîneurs, mais aussi Oliver Bierhoff et le staff, sommes en contact régulier avec nos joueurs. J'ai été très impressionné par la volonté de l'équipe de faire un don de 2,5 millions d'euros, ça a été un signal fort. Avec la direction sportive, nous nous parlons plusieurs fois par semaine, et c'est également le cas quand il n’y a pas de pandémie. Nous échangeons des informations sur les joueurs et sur le contenu des entraînements. Nous abordons aussi des questions plus personnelles, surtout qu’à l’heure actuelle, nous ne pouvons pas nous permettre de négliger cet aspect. J’ai aussi téléphoné à certains de mes collègues entraîneurs en Allemagne et à l’étranger. Le monde a les yeux rivés sur notre championnat et la façon dont il a repris. J’espère que nos internationaux à l’étranger pourront bientôt rejouer pour leurs clubs respectifs.
Voss-Tecklenburg : Nous avons maintenu un contact régulier par téléphone et par mail. Nous avons répondu aux questions, notamment celles concernant les programmes d’entraînements, mis à disposition des joueuses en complément des plans fournis par les clubs, en précisant qu’ils restent facultatifs, comme cela a été décidé avec les entraîneurs de Bundesliga. De plus, nous avons eu une session où toute l’équipe s’est retrouvée pour cuisiner et avons appelé toutes les joueuses pour savoir comment elles faisaient face à la situation actuelle. Beaucoup d'entre elles ont utilisé ce temps libre, ont appris de nouvelles choses, se sont découvertes un côté créatif ou ont continué leurs études de manière intensive. Échanger avec les joueuses qui sont à l’étranger a été particulièrement intéressant. Par exemple, en Angleterre, les mesures pour limiter la propagation du virus sont très strictes, de sorte que personne ne peut quitter son appartement plus d’une heure par jour. Pour des sportives qui sont normalement toujours actives, c'est une très longue interruption.
Kuntz : Jusqu’à présent, nous avons eu deux visioconférences avec l’équipe pour échanger des informations. Chaque joueur a donné son point de vue et a décrit sa situation pendant la crise. Nos experts, les médecins, nutritionnistes, préparateurs physiques et psychologues étaient à la disposition des joueurs pour répondre à leurs questions individuelles. Maintenant, nous parlons à nouveau de jouer au football. Le contact avec notre staff est également très intense. En parallèle, nous avons mis en place une « virtuelle Herzzeigen-Aktion » (action virtuelle venant du cœur) avec les joueurs et le fan club d’une maison de retraite de Wolfsburg par visioconférence. Nous essayons d’aider ceux qui se sont retrouvés en difficulté à cause de l’épidémie.
DFB.de : Lorsque vous retrouverez votre équipe, un certain temps se sera écoulé depuis le dernier match international. Voyez-vous un risque de devoir tout recommencer à zéro ?
Löw : Non, je n'ai pas cette préoccupation. Un joueur international a tellement de qualités qu’il est capable de répondre aux exigences dans un délai très court, que ce soit en club ou en équipe nationale. Mais il faut toujours un certain temps pour retrouver les automatismes. C’est le cas lorsque l’équipe passe du temps ensemble, lors des stages de préparation par exemple. Nous n'avons pas cette possibilité cette fois-ci, ce qui est regrettable. À cet égard, cette longue pause n'est pas forcément bénéfique d’un point de vue sportif, mais la situation est ce qu'elle est. Et nous l'acceptons, nous ne nous sommes jamais plaints. Il se peut que nous devions faire un peu plus que d'habitude, surtout dans le domaine tactique, mais nous y parviendrons aussi. Quand ça redémarrera, nous serons prêts. Et très honnêtement : j'ai vraiment hâte d'y être et de revenir sur le terrain.
Voss-Tecklenburg : Nous savons qu'après une si longue pause, nous devons nous poser certaines questions : Comment voulons-nous jouer au football ? Quelles sont nos idées ? Mais nous ne devons certainement pas partir de zéro, car nous continuons de suivre les joueuses au quotidien. Depuis que les championnats ont redémarré, nous examinons leurs performances de manière intensive. Nous les confrontons encore et encore à nos principes de jeu. C'est pourquoi je ne suis pas trop inquiète. Nous avons hâte de nous revoir, c’est ce qui est ressorti de nos appels vidéo.
Kuntz : Nous allons continuer de rendre visite aux joueurs avant les prochains matchs. Nous allons notamment analyser à nouveau notre dernière rencontre face à la Belgique avec eux. Nous ferons le reste dans les jours qui précèdent le prochain match. Nos concepts de base, notre philosophie sont bien connus des garçons et nous espérons qu'ils ne les ont pas si vite oubliés (rires).
DFB.de : Une crise peut aussi apporter de nouvelles opportunités. Est-ce le cas pour le football ?
Löw : Je crois que cette crise nous rend tous plus humbles, non seulement dans le domaine du football, mais aussi dans celui de l'éducation. J'ai exprimé quelques réflexions à ce sujet lors d'une conférence de presse. Je ne sais pas si la logique « plus haut, plus vite, plus loin » peut et doit continuer. Bien sûr, nous ne voulons pas perdre notre motivation, notre ambition, les deux font partie du sport de haut niveau. Mais j'aimerais que nous nous arrêtions un peu plus souvent, que nous continuions à nous traiter mutuellement avec respect, que nous remettions nos valeurs au centre de nos activités.
Voss-Tecklenburg : C'est une question à laquelle il est difficile de répondre. En ce qui concerne le football professionnel, je pense que la politique et les montants des transferts sont en train de changer. La position sociale du football est devenue claire pour tout le monde, mais surtout pour ceux qui le dirigent. La question est de savoir combien de temps cela va durer. Qu'est-ce qui change vraiment ? Tout sera-t-il à nouveau oublié dans un an ? Je vois des conséquences surtout dans le domaine économique, mais je voudrais que cela touche aussi le domaine social.
Kuntz : En temps normal, dans le football, nous sommes dans une bulle. En ce moment, beaucoup de choses sont remises en perspective. Nous recevons de nombreuses réactions et opinions d'autres citoyens, dans toutes les couches de la société, que ce soit de la part de fans de football ou non. Nous devrions en tirer les conséquences et reconsidérer certaines choses lorsque nous serons revenus à une situation plus normale.
DFB.de : Y a-t-il des choses que vous avez apprises pendant cette période ?
Löw : Oui, combien les choses qui nous paraissent normales d’habitudes sont en réalité si précieuses : sortir, voyager, aller au cinéma, rencontrer des amis. Et jouer au football, bien sûr. Et la famille et les amis sont importants. C'est agréable de voir à quel point on peut être créatif pour garder le contact avec ses proches quand on ne peut pas être ensemble. J'ai aussi beaucoup voyagé dans la nature en VTT, presque tous les jours, ce qui m'a permis de recharger mes batteries et de rester en forme.
Voss-Tecklenburg : J'ai appris à être un peu plus détendue. Je pense que la dernière fois que j'ai passé huit semaines à la maison, c'était à l'âge de 15 ans. Vous obtenez donc automatiquement un peu de paix et de tranquillité. Je me suis également mise à cuisiner. Bien sûr, ça m’arrivait avant, mais c’était assez basique, simplement pour ne plus avoir faim. Désormais, je maîtrise la préparation de plats beaucoup plus raffinés.
Kuntz : J’en ai appris plus sur la nature humaine et sur ceux qui nous dirigent, quel que soit le domaine.