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Finale 1954 : Le miracle de Berne

Retour sur les plus grands moments de l'histoire de l’équipe d’Allemagne, qui disputera cet été en Russie sa 19e Coupe du monde.

4 juillet 1954, Berne : Allemagne-Hongrie, 3-2

L’avant-match :

L’Allemagne n'aura donc affronté que quatre adversaires différents au cours de cette Coupe du monde en Suisse. En effet, après avoir défié la Turquie à deux reprises, c’est désormais la Hongrie que les hommes du sélectionneur Sepp Herberger s’apprêtent à retrouver en finale, deux semaines après leur mémorable déconvenue 3-8 face aux Magyars au premier tour de la compétition. Très peu d’observateurs voient l’Allemagne remporter cette finale face à des Hongrois invaincus depuis 32 matchs : des statues des joueurs sont déjà érigées à Budapest, des timbres à leur effigie sont imprimés et l’ambassadeur de Hongrie en Suisse a d’ores et déjà invité la sélection pour fêter l'événement le lendemain. Les joueurs, après leur victoire en prolongations contre l’Uruguay en demi-finale (4-2), ne s’entraînent ni le jeudi, ni le vendredi – et juste un peu le samedi, la veille du match.

Une décontraction logique, tant les Hongrois semblent supérieurs. Mais Sepp Herberger sait qu’il a une carte à jouer. Le matin du match, sous un soleil radieux, il se renseigne auprès du centre météorologique local : pleuvra-t-il aujourd’hui ? La réponse est positive : « Pluie persistante en Bade du sud et Suisse ». La pluie, c’est le fameux Fritz-Walter-Wetter, la météo parfaite pour Fritz Walter, capitaine et maître à jouer de la Mannschaft. Lorsque tombent les premières gouttes à midi, Max Morlock est le premier à s’en rendre compte : « Friedrich, il pleut ! » L’équipe exulte ; quelques heures plus tard, les deux équipes font leur entrée sur la pelouse du Wankdorf-Stadion de Berne sous une pluie battante.

Quelques instants plus tôt, un fonctionnaire suisse fait son entrée dans le vestiaire, comme le veut le protocole : « Les deux hymnes avant le match, l’hymne du pays vainqueur après le match », explique-t-il. « Donc l’hymne allemand », entend-on dans le vestiaire ; Sepp Herberger dira plus tard que la phrase fut prononcée par Fritz Walter, d’habitude si peu enclin à s’enflammer.

Rahn devrait tirer de loin

La finale

Pressé, l’arbitre anglais de la rencontre William Ling effectue son coin toss six minutes trop tôt ; il l’effectue même une deuxième fois, car Ferenc Puskas effleure la pièce avec son pied. Puskas, l’attaquant star de la sélection hongroise, s’était blessé sur une charge de Werner Liebrich lors de la victoire 8-3 face à l’Allemagne ; remis d’aplomb, il est titulaire à Berne.

Puskas choisit son côté et les Magyars démarrent la rencontre comme prévu : après 8 minutes de jeu, le score est déjà de 2 à 0. Deux buts faciles, trop faciles, signés Puskas et Zoltan Czibor, ce dernier profitant d’une mésentente entre Toni Turek et Werner Kohlmeyer. « Ce que nous craignions s’est réalisé », regrette le journaliste radio Herbert Zimmermann en tribune de presse. Zimmerman, s’attendant à devoir commenter une nouvelle débâcle de l’Allemagne face à la Hongrie, avait mal dormi. À la fin du match, il deviendra l’un des personnages mythiques du miracle de Berne, plus encore que certains joueurs.

Sur le terrain, certaines têtes sont déjà baissées. Fritz Walter racontera plus tard : « Nous nous sommes regardés, atterrés. Mais aucun reproche n’est fait à Kohli et Toni. Le ballon est renvoyé devant, Max Morlock essaie de rester positif : ‘Ça ne fait rien !’, crie-t-il. Ottmar refuse lui aussi de perdre espoir : ‘Fritz, on continue, on va y arriver’. »

Les 10 minutes suivantes sont sans doute celles qui donnent naissance au mythe de cette nouvelle équipe d’Allemagne, celle qui ne lâche jamais rien. À la 10e minute, Max Morlock reprend victorieusement un tir raté d’Helmut Rahn à 25 mètres du but ; à la 18e minute, c’est Rahn lui-même qui fait trembler les filets à la suite d’un corner que le gardien adverse Gyula Grosics ne parvient pas à repousser. Des années plus tard, Hans Schäfer admettra qu’il a légèrement déséquilibré Grosics dans les airs…

Dans le vestiaire à la pause, Rahn tance Turek et Kohlmeyer à cause du second but hongrois ; Herberger s’interpose pour mettre fin à la dispute. « Gardez votre souffle, vous en aurez encore besoin. » Mais personne n’est fatigué, et les joueurs sentent qu’ils sont en meilleure condition physique que leurs adversaires. Alors que les joueurs s’hydratent à base d’eau plate, gazeuse et de thé, le sélectionneur les rassure : « Continuez comme cela. Même si vous perdez, personne ne vous en voudra désormais. » Dans les gradins, les places qui étaient encore disponibles au coup d’envoi ne le sont plus.

Face à des Hongrois remontés, l’Allemagne résiste tant bien que mal en deuxième mi-temps. Toni Turek, jadis critiqué par Herberger pour sa témérité, enchaîne les parades décisives ; « Tu es un dieu du football ! », s’exclame Zimmermann devant son microphone. Kocsis frappe sur la barre transversale. Kohlmeyer sauve sur la ligne. Puskas marque mais son but est refusé – peut-être injustement. À la 84e minute, le but décisif de Rahn est immortalisé tant par les images que par les mots de Zimmermann, connus aujourd’hui sur le bout des doigts par chaque passionné de football en Allemagne : « Schäfer centre à l’intérieur, tête ! C’est repoussé, Rahn devrait tirer de loin ! Rahn tire ! »

Onze de départ : Turek – Posipal, Kohlmeyer – Eckel, Liebrich, Mai – Morlock, Fritz Walter – Rahn, Ottmar Walter, Schäfer.

Buts : 0-1 Puskas (6e), 0-2 Czibor (8e), 1-2 Morlock (10e), 2-2 Rahn (18e), 3-2 Rahn (84e).

Spectateurs : 62 471

Adenauer : « Le peuple allemand prend part à votre formidable succès »

Les réactions :

Sepp Herberger : « Que dire ? Je suis si heureux et fier de mon équipe. Nous avions tout prévu. Les ailiers ne devaient pas laisser de temps à la défense hongroise, et les attaquants centraux avaient pour devoir d’aider la défense en attaquant promptement les milieux de terrain adverses, afin que les attaquants hongrois ne jouissent en aucun cas d’espaces et de temps. Cela n’a pas si bien fonctionné au début. Mais les choses sont rentrées dans l’ordre et tout s’est ensuite passé à merveille. »

Helmut Rahn : « Lorsque nous sommes revenus à 2-2, plus rien ne pouvait mal se passer ! Après avoir contrôlé le centre de Schäfer, j’ai simplement placé le ballon sur mon pied gauche avant de tirer. Puis j’ai vu Grosics tomber sans atteindre le cuir ; à ce moment précis, je savais tout. »

Jupp Posipal : « Mon cœur s’est arrêté de battre lorsque Puskas poussa encore une fois le ballon derrière la ligne blanche, dans les dernières minutes. Mais le juge de touche avait vu la position de hors-jeu du capitaine hongrois. »

Peco Bauwens (président de la DFB) : « Notre équipe a peut-être eu un peu de chance. Mais celle-ci sourit souvent à ceux qui travaillent dur. La victoire est méritée et fut remportée honnêtement. »

Konrad Adenauer (chancelier/par télégramme) : « L’ensemble du peuple allemand prend part à votre formidable succès. J’adresse toutes mes félicitations à l’équipe allemande ainsi que mes meilleures salutations. »

Gustav Sebes (sélectionneur de la Hongrie) : « Nous avions pensé à tout, sauf à cette défaite. Lorsque l’équipe allemande a obtenu l’égalisation avec cette fougue batailleuse et ce dévouement jamais vu, je savais que les nerfs ne tiendraient pas. »

Sandor Kocsis : « Je n’avais pas la moindre idée du malheur qui nous attendait. J’étais optimiste et ai abordé ce match comme un spectacle dans lequel les rôles seraient clairement définis. Les vainqueurs : nous. Les vaincus : l’Allemagne. »

« Ils se sont battus comme seuls les hommes savent se battre. Et ils ont joué un football magique, digne d’un champion du monde. » (BILD/Allemagne)

« L’équipe d’Allemagne n’est pas la meilleure du monde, mais elle est nettement meilleure que ce que beaucoup attendaient… Aucun expert international reconnu ne dira que le résultat final de cette coupe du monde reflète fidèlement le rapport de forces dans le football mondial. » (Nepsport/Hongrie)

« Les Allemands, sous-cotés, parias du football international pendant des années, ont rendu les coups et ont gagné, car contrairement à toutes les autres équipes de ce championnat, ils refusèrent d’entendre les horribles histoires de la magie magyare. » (Daily Express/Angleterre)

« Les Allemands ont joué un football rapide, direct et intelligent. Toni Turek mérite la couronne. » (Times/Angleterre)

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Retour sur les plus grands moments de l'histoire de l’équipe d’Allemagne, qui disputera cet été en Russie sa 19e Coupe du monde.

4 juillet 1954, Berne : Allemagne-Hongrie, 3-2

L’avant-match :

L’Allemagne n'aura donc affronté que quatre adversaires différents au cours de cette Coupe du monde en Suisse. En effet, après avoir défié la Turquie à deux reprises, c’est désormais la Hongrie que les hommes du sélectionneur Sepp Herberger s’apprêtent à retrouver en finale, deux semaines après leur mémorable déconvenue 3-8 face aux Magyars au premier tour de la compétition. Très peu d’observateurs voient l’Allemagne remporter cette finale face à des Hongrois invaincus depuis 32 matchs : des statues des joueurs sont déjà érigées à Budapest, des timbres à leur effigie sont imprimés et l’ambassadeur de Hongrie en Suisse a d’ores et déjà invité la sélection pour fêter l'événement le lendemain. Les joueurs, après leur victoire en prolongations contre l’Uruguay en demi-finale (4-2), ne s’entraînent ni le jeudi, ni le vendredi – et juste un peu le samedi, la veille du match.

Une décontraction logique, tant les Hongrois semblent supérieurs. Mais Sepp Herberger sait qu’il a une carte à jouer. Le matin du match, sous un soleil radieux, il se renseigne auprès du centre météorologique local : pleuvra-t-il aujourd’hui ? La réponse est positive : « Pluie persistante en Bade du sud et Suisse ». La pluie, c’est le fameux Fritz-Walter-Wetter, la météo parfaite pour Fritz Walter, capitaine et maître à jouer de la Mannschaft. Lorsque tombent les premières gouttes à midi, Max Morlock est le premier à s’en rendre compte : « Friedrich, il pleut ! » L’équipe exulte ; quelques heures plus tard, les deux équipes font leur entrée sur la pelouse du Wankdorf-Stadion de Berne sous une pluie battante.

Quelques instants plus tôt, un fonctionnaire suisse fait son entrée dans le vestiaire, comme le veut le protocole : « Les deux hymnes avant le match, l’hymne du pays vainqueur après le match », explique-t-il. « Donc l’hymne allemand », entend-on dans le vestiaire ; Sepp Herberger dira plus tard que la phrase fut prononcée par Fritz Walter, d’habitude si peu enclin à s’enflammer.

Rahn devrait tirer de loin

La finale

Pressé, l’arbitre anglais de la rencontre William Ling effectue son coin toss six minutes trop tôt ; il l’effectue même une deuxième fois, car Ferenc Puskas effleure la pièce avec son pied. Puskas, l’attaquant star de la sélection hongroise, s’était blessé sur une charge de Werner Liebrich lors de la victoire 8-3 face à l’Allemagne ; remis d’aplomb, il est titulaire à Berne.

Puskas choisit son côté et les Magyars démarrent la rencontre comme prévu : après 8 minutes de jeu, le score est déjà de 2 à 0. Deux buts faciles, trop faciles, signés Puskas et Zoltan Czibor, ce dernier profitant d’une mésentente entre Toni Turek et Werner Kohlmeyer. « Ce que nous craignions s’est réalisé », regrette le journaliste radio Herbert Zimmermann en tribune de presse. Zimmerman, s’attendant à devoir commenter une nouvelle débâcle de l’Allemagne face à la Hongrie, avait mal dormi. À la fin du match, il deviendra l’un des personnages mythiques du miracle de Berne, plus encore que certains joueurs.

Sur le terrain, certaines têtes sont déjà baissées. Fritz Walter racontera plus tard : « Nous nous sommes regardés, atterrés. Mais aucun reproche n’est fait à Kohli et Toni. Le ballon est renvoyé devant, Max Morlock essaie de rester positif : ‘Ça ne fait rien !’, crie-t-il. Ottmar refuse lui aussi de perdre espoir : ‘Fritz, on continue, on va y arriver’. »

Les 10 minutes suivantes sont sans doute celles qui donnent naissance au mythe de cette nouvelle équipe d’Allemagne, celle qui ne lâche jamais rien. À la 10e minute, Max Morlock reprend victorieusement un tir raté d’Helmut Rahn à 25 mètres du but ; à la 18e minute, c’est Rahn lui-même qui fait trembler les filets à la suite d’un corner que le gardien adverse Gyula Grosics ne parvient pas à repousser. Des années plus tard, Hans Schäfer admettra qu’il a légèrement déséquilibré Grosics dans les airs…

Dans le vestiaire à la pause, Rahn tance Turek et Kohlmeyer à cause du second but hongrois ; Herberger s’interpose pour mettre fin à la dispute. « Gardez votre souffle, vous en aurez encore besoin. » Mais personne n’est fatigué, et les joueurs sentent qu’ils sont en meilleure condition physique que leurs adversaires. Alors que les joueurs s’hydratent à base d’eau plate, gazeuse et de thé, le sélectionneur les rassure : « Continuez comme cela. Même si vous perdez, personne ne vous en voudra désormais. » Dans les gradins, les places qui étaient encore disponibles au coup d’envoi ne le sont plus.

Face à des Hongrois remontés, l’Allemagne résiste tant bien que mal en deuxième mi-temps. Toni Turek, jadis critiqué par Herberger pour sa témérité, enchaîne les parades décisives ; « Tu es un dieu du football ! », s’exclame Zimmermann devant son microphone. Kocsis frappe sur la barre transversale. Kohlmeyer sauve sur la ligne. Puskas marque mais son but est refusé – peut-être injustement. À la 84e minute, le but décisif de Rahn est immortalisé tant par les images que par les mots de Zimmermann, connus aujourd’hui sur le bout des doigts par chaque passionné de football en Allemagne : « Schäfer centre à l’intérieur, tête ! C’est repoussé, Rahn devrait tirer de loin ! Rahn tire ! »

Onze de départ : Turek – Posipal, Kohlmeyer – Eckel, Liebrich, Mai – Morlock, Fritz Walter – Rahn, Ottmar Walter, Schäfer.

Buts : 0-1 Puskas (6e), 0-2 Czibor (8e), 1-2 Morlock (10e), 2-2 Rahn (18e), 3-2 Rahn (84e).

Spectateurs : 62 471

Adenauer : « Le peuple allemand prend part à votre formidable succès »

Les réactions :

Sepp Herberger : « Que dire ? Je suis si heureux et fier de mon équipe. Nous avions tout prévu. Les ailiers ne devaient pas laisser de temps à la défense hongroise, et les attaquants centraux avaient pour devoir d’aider la défense en attaquant promptement les milieux de terrain adverses, afin que les attaquants hongrois ne jouissent en aucun cas d’espaces et de temps. Cela n’a pas si bien fonctionné au début. Mais les choses sont rentrées dans l’ordre et tout s’est ensuite passé à merveille. »

Helmut Rahn : « Lorsque nous sommes revenus à 2-2, plus rien ne pouvait mal se passer ! Après avoir contrôlé le centre de Schäfer, j’ai simplement placé le ballon sur mon pied gauche avant de tirer. Puis j’ai vu Grosics tomber sans atteindre le cuir ; à ce moment précis, je savais tout. »

Jupp Posipal : « Mon cœur s’est arrêté de battre lorsque Puskas poussa encore une fois le ballon derrière la ligne blanche, dans les dernières minutes. Mais le juge de touche avait vu la position de hors-jeu du capitaine hongrois. »

Peco Bauwens (président de la DFB) : « Notre équipe a peut-être eu un peu de chance. Mais celle-ci sourit souvent à ceux qui travaillent dur. La victoire est méritée et fut remportée honnêtement. »

Konrad Adenauer (chancelier/par télégramme) : « L’ensemble du peuple allemand prend part à votre formidable succès. J’adresse toutes mes félicitations à l’équipe allemande ainsi que mes meilleures salutations. »

Gustav Sebes (sélectionneur de la Hongrie) : « Nous avions pensé à tout, sauf à cette défaite. Lorsque l’équipe allemande a obtenu l’égalisation avec cette fougue batailleuse et ce dévouement jamais vu, je savais que les nerfs ne tiendraient pas. »

Sandor Kocsis : « Je n’avais pas la moindre idée du malheur qui nous attendait. J’étais optimiste et ai abordé ce match comme un spectacle dans lequel les rôles seraient clairement définis. Les vainqueurs : nous. Les vaincus : l’Allemagne. »

« Ils se sont battus comme seuls les hommes savent se battre. Et ils ont joué un football magique, digne d’un champion du monde. » (BILD/Allemagne)

« L’équipe d’Allemagne n’est pas la meilleure du monde, mais elle est nettement meilleure que ce que beaucoup attendaient… Aucun expert international reconnu ne dira que le résultat final de cette coupe du monde reflète fidèlement le rapport de forces dans le football mondial. » (Nepsport/Hongrie)

« Les Allemands, sous-cotés, parias du football international pendant des années, ont rendu les coups et ont gagné, car contrairement à toutes les autres équipes de ce championnat, ils refusèrent d’entendre les horribles histoires de la magie magyare. » (Daily Express/Angleterre)

« Les Allemands ont joué un football rapide, direct et intelligent. Toni Turek mérite la couronne. » (Times/Angleterre)

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